De notre correspondant
Paris,
10 mars 2025. Le ministre de l’éducation a présidé hier une réunion
stratégique sur l’avenir de l’enseignement supérieur français faisant suite à
des mises en garde alarmantes d’intellectuels parues dans la presse.
Depuis la fin des années 10 on a assisté à
un mouvement de rationalisation, de
« révolution culturelle », de l’enseignement supérieur sans
précédent : création des communautés d’université, suppression pure et simple des classes préparatoires suite à l’absorption des grandes écoles dans des consortiums d’université,
intégration des anciens IUT dans
les collèges universitaires comme filières réservées aux titulaires de bacs professionnels. Ce grand mouvement d’harmonisation a été mené, à
l’époque, pour lutter contre les inégalités et, parallèlement, rehausser le
niveau de nos universités.
Les filières sélectives ont été supprimées
pour lutter contre la reproduction sociale des élites.
L’idée était simple : en finir avec un
système « à deux vitesses » prétendument responsable du blocage de
l’ascenseur social, réorienter les talents vers les carrières académiques et
industrielles et rendre nos
universités attractives. En
homogénéisant l’enseignement supérieur français, piloté de manière centralisée par un ministère qui se voulait
stratège, on imaginait qu’il pourrait rivaliser avec ses homologues prestigieux
de la scène internationale.
Curieusement, on est en train de vivre une
expérience qui ressemble largement plus à celle des pays en développement. Plusieurs
évolutions récentes sont inquiétantes. La disparition des filières sélectives,
décidée en 2014, a d’abord
provoqué la fuite de bon nombre
d’étudiants issus des « classes moyennes » et supérieures vers
les, excellentes, mais onéreuses,
universités de Suisse, du Royaume Uni, du Canada et des Etats Unis. Ensuite, à partir de 2018, des filiales
d’institutions prestigieuses se sont installées en France : le MIT a
racheté la partie Est du Campus de Saclay déserté, Caltech a monté une filiale
à Grenoble et Stanford est sur le point de s’installer à Sophia Antipolis. Même si ces
institutions proposent des systèmes de bourses et d’avances sur salaire,
financées par des fondations industrielles, cela ne concerne qu'un tout petit
nombre de jeunes qui n’ont pas les moyens de payer (cher) leurs études.
Parallèlement, un nombre non négligeable de talents français,
professeurs, chercheurs, mais aussi ingénieurs ou managers, maintenant assez largement formés à
l’étranger, n’ont aucun intérêt à rentrer en France où ils trouvent difficilement
des postes correspondant à leur niveau. Ironie du sort, la dernière médaille
Fields a été attribuée à un Français expatrié à l’issue de sa terminale au
Lycée Henri IV en 2014 !
L’Université Française vit, à une échelle
autrement plus grave, le même drame que l’enseignement secondaire : le
privé, d’ailleurs souvent excellent,
s’est engouffré sur la partie « solvable » du marché de
l’éducation. Le système public est
encore plus dans l’incapacité de faire fonctionner l’ascenseur social et
l’université publique française encore plus pauvre ! Le pourcentage
d’étudiants de l’université publique issus des milieux favorisés est
historiquement bas : la ségrégation sociale est à son apogée. Même si la
recherche tient encore le coup, elle commence à pâtir du vieillissement de ses
effectifs faute de pouvoir recruter des jeunes talents.
Les conclusions de la réunion sont restées
confidentielles. Selon certains, on s’achemine vers des solutions assez
radicales : taxation des familles envoyant leurs enfants à l’étranger, et
affirmation du monopole de l’université par interdiction des filiales
d’institutions étrangères, et plus généralement des institutions privées.
Certains doutent de leur efficacité…